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Le jardin aux lucioles

3 Mai 2020 , Rédigé par Dreux Patrick Publié dans #littérature

L’immeuble de la rue Tournefort

 

 

 

 

 

 

 

Un immeuble de trois étages, à quelques pas de la rue du Pot de Fer. Au dix-neuvième siècle c’était une modeste pension. J’y ai laissé quelques robes et quelques nuits blanches, mes illusions aussi, sur les hommes. Aujourd’hui c’est un lieu où cohabitent des histoires qui, à priori, n’ont rien en commun.

Le propriétaire vit au deuxième et a toujours mis un point d’honneur à maintenir ses loyers très bas. René Leroy, quarante ans, unique héritier de grands bourgeois parisiens qui ne voulaient pas de progéniture et l’ont eu sur le tard - père ambassadeur, mère musicienne - se définit lui-même sous l’espèce de l’anarchiste rentier amateur d’art. Dans les greniers qu’il s’est réservés, il collectionne des gravures, des monotypes, des fusains, comme des rêves nocturnes, des prémices de métamorphoses, seulement des gris, déclinaisons de noir et blanc.

Le rez-de-chaussée est occupé par un cabinet de courtage qui lui permet de vivre sans travailler, de courir les expositions, de multiplier les aventures, de préférence avec de jeunes artistes, et le laisse libre de ne pas exploiter les autres locataires.

Au premier étage vivent deux hommes âgés, Amadeo Fernando soixante-treize ans, porte de gauche sur le palier, et Antonin Dumont quatre-vingt-douze ans, porte de droite. L’un est infirmier à la retraite, l’autre poète, autrefois libraire, rescapé des camps de concentration.

Au deuxième, en face de l’appartement de René, Mademoiselle Isabelle Chambon, cinquante-quatre ans, enseigne le latin et le grec depuis trente ans.

Enfin les deux appartements du troisième sont occupés l’un par une jeune mère âgée de vingt-six ans et sa fille de huit ans, Saadia et Jasmine Aldjarati, l’autre par un couple de trentenaires, Mira Truyère chargée de cours à l’université de Paris-Nanterre, Jérémie Boin toujours préoccupé de trouver sa voie dans ce monde.

Les noms sont sur les boîtes aux lettres et sur les portes. Personne ne connaît vraiment personne, chacun mène sa vie sans se soucier des autres. Ce n’est pas méchanceté ou indifférence, c’est juste une question de quant à soi.

Et puis un jour tout cela s’est un peu emmêlé. Comme si des portes s’étaient entrouvertes pour ne plus se refermer…

« On » me l’a appris quand j’ai pu revenir. Pour être plus précise, je n’étais pas vraiment partie. Avoir une absence et être absente, la nuance est grande. Et puis zut, je vais vous faire un aveu, ce « je » est juste une commodité d’écriture. Imaginez-moi nombreuses, nombreux, ombre, ou même lever de mots dans les dernières lueurs d’un crépuscule. Ici, là, là-bas, ailleurs, même où je ne suis pas, quelque part, autre part, l’ubiquité m’est facile, l’éparpillement m’est naturel. Au regard des fragments de vies que je vais vous raconter, toujours-déjà disparue.

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L
Pourquoi ne pas envoyer le lien vers toutes les pages destinées à faire connaître les écrits discrets : il en a la puissance !
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P
Je ne sais pas, tout cela est si difficile